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Photo du rédacteurBéatrice Bertieaux

Nous ne connaissons pas la fin de l’histoire,

et le récit que nous faisons sur nous-mêmes est en relation avec ce que nous attendons encore de la vie, a écrit P. Ricoeur.


Tous les jours ou presque, je chausse mes baskets et en avant toute vers la forêt encore plongée dans la nuit. Pas tout à fait réveillée, je me demande à chaque fois pourquoi je m’évertue à partir si tôt. Seule face à l’immensité, voilà pourquoi. Je n’y vois pas grand-chose, mais réconciliée avec les ténèbres, je suis le sentier qui se trace tout naturellement sous mes pas. Un de ces moments où je parviens à lâcher-prise, où je confie mon inexistence à l’inattendu, une pierre, une flaque d’eau, une branche.


Lors d’une de ces virées solitaires dans la forêt éclairée par une lune, je me suis un jour trouvée face à deux yeux brillants. Je me suis figée. Le chevreuil aussi. Un instant d’éternité inoubliable.


Sur le chemin du retour, le noir s’est dissipé et je croise un grand monsieur aux lunettes rondes, la monture finement dorée. Il promène son chien. Depuis le premier confinement, je le croise souvent. Nous nous saluons d’un sourire et un léger hochement de tête, un bonjour à peine perceptible sur les lèvres. Je me suis d’ailleurs inquiétée à un moment, car je ne l’ai pas vu pendant plusieurs semaines. Tout comme cet autre monsieur à l’accent italien, plus âgé, que je ne croise plus depuis au moins deux mois. Vraiment, je suis inquiète, mais je ne sais pas où il habite. Et cette madame, avec qui au printemps, je papotais sur un banc tout en observant un couple de canards. Cela fait des mois que je ne l’ai plus croisée, cette dame qui avait de si belles anecdotes à me raconter. Je la reverrai peut-être aux beaux jours. Elle m’aimait bien. Je l'aimais bien aussi.

Vous voulez toujours que les autres vous aiment. Enfin, vous croyez. C’est des gens bizarres, les autres. Vous pensez qu’ils sont comme vous. Et pas du tout. Ils sont comme les autres. J’aime pas les autres. Jacques André Bertrand.

Pour en revenir à ce monsieur aux lunettes rondes, j’ai ralenti le pas cette fois, pour courir sur place. Un truc que font les coureurs. Il ne faut pas arrêter le moteur ; refroidi, il peinerait à redémarrer. Du coup, le bonjour fut plus perceptible. Le sourire aussi. Un sourire à l’accent anglo-saxon, enfin je crois. Ou slave. J’ai continué ma route en me disant que décidément, il serait sans doute de bon ton que je m’entraîne à alimenter un peu plus mes conversations. Un petit effort. J’ai besoin des autres aussi pour tisser des liens et ancrer mes pieds de petite terrienne, ne fût-ce qu’un peu avant de déployer mes ailes et m’envoler vers d’autres cieux.



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